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Lazare de Schwendi (1522-1583) et le traité de Kientzheim

Lazare de Schwendi (1522-1583), seigneur de Hohlandsbourg et de Kientzheim, sous-bailli de Kaysersberg, s’est illustré par une carrière militaire et diplomatique vouée au Saint-Empire romain germanique. Selon la légende, il est supposé avoir ramené de Hongrie le cépage de Tokay. Mort le 27 mai 1583 à Kirchhofen (Bade), il est inhumé dans l’église de Kientzheim où sa pierre tombale est toujours visible.
Lazare de Schwendi joua un rôle considérable dans les affaires munstériennes. Par son arbitrage de mars 1575, celui-ci mit fin à une longue querelle qui opposait l’abbaye à la ville de Munster. Le 19 mars 1575 furent conclus les pourparlers entre l‘abbaye et les autorités municipales engagés depuis 1570 sur ordre de l’empereur Maximilien II. Ils aboutirent à une transaction acceptée par les deux parties convoquées au château de Kientzheim par Schwendi, d’où le nom de « Traité de Schwendi » ou également « Traité de Kientzheim ».
Ce traité fixa, une fois pour toutes, les rapports entre la ville et l’abbaye. Il clarifia la situation sur beaucoup de points litigieux notamment ceux des cultes et des écoles. Par ce traité, Munster devenait désormais une vraie ville impériale bénéficiant d’une large autonomie à l’égard de l’Empire. L’abbaye gardait des droits très considérables mais n’exerçait plus de tutelle seigneuriale et jusqu’à la Révolution ce texte régit les obligations réciproques de la ville et du monastère.
Pour commémorer cet accord le conseil édifia en 1576 la fontaine avec son lion, symbole de force, tenant à la fois les armoiries de la ville et celles de l’Empire. Il marquait publiquement l’affranchissement de la ville. Après le traité de Schwendi l’abbaye et la communauté retrouvent enfin le calme, du moins pour quelques années.
Signalons que cet arbitrage n’était pas qu’une affaire munstérienne : il eut aussi des retentissements qui dépassaient bien la vallée. Voyant que le droit de passer à la Réforme était pour la première fois clairement reconnu à une ville de la Décapole, les membres du Conseil de Colmar décidèrent au mois d’avril de la même année d’introduire, eux aussi, le protestantisme et c’est ainsi que le premier culte luthérien fut célébré à Colmar le 19 mai 1575.

Dom Augustin Calmet (1672-1757)

Théologien, historien, exégète célèbre, Dom Augustin Calmet est né le 26 février 1672 à Mesnil-la-Horgue près de Commercy (Lorraine). Bénédictin de la congrégation de St-Vannes fut l’un des savants les plus laborieux et les plus utiles qu’ait produit l’ordre de St-Benoît.
Cet illustre religieux bénédictin honora par deux fois le Val St Grégoire de sa présence. De 1690 à 1696, il poursuivit ses études à l’abbaye de Munster ; de 1704 à 1706, il y séjourna en qualité de sous-prieur.
Avant de faire profession à l’abbaye de St-Mansuy, le 23 octobre 1689, le jeune Calmet avait déjà fini ses humanités au collège de Breuil, étudié la rhétorique à l’université de Pont-à-Mousson. Il avait commencé l’étude de la philosophie à l’abbaye de St-Epvre-lès-Toul sous la direction de dom Ambroise Borain mais en 1690 ce cours fut transféré à l’abbaye de Munster par suite d’une décision du chapitre général.
Âgé de 18 ans, le jeune élève y suivit son maître et arriva à Munster au printemps de cette année. Son maître ayant dû quitter l’abbaye en 1691, il termina vers 1694 l’étude de la théologie sous la direction de dom Emilien Maugras.
Le 17 mars 1696, il reçut les ordres sacrés à Arlesheim. Le 24 avril, il célébra sa première messe dans l’église abbatiale de Munster. Au printemps de 1696, il fut envoyé à l’abbaye de Moyenmoutier pour y étudier les Saintes Ecritures et le droit canon. Ainsi s’acheva son premier séjour à Munster.
En 1704, ses supérieurs l’envoyèrent à nouveau en qualité de sous-prieur à l’abbaye de Munster qui faisait partie de la congrégation de St-Vanne et St-Hydulphe. De 1704 à 1706, le sous prieur occupa à Munster les multiples fonctions de secrétaire du chapitre, bibliothécaire et chef de l’académie.
Pourquoi dom Calmet avait-il choisi de revenir à Munster ? C’est en cette ville qu’il avait étudié avec l’aide du pasteur Faber l’hébreu dont la connaissance lui était nécessaire pour mener à bien ses travaux. L’abbaye de Munster possédait également, à la fin du XVIII siècle, une bibliothèque des plus riches, de près de 8000 volumes.
Répondant aux ordres de ses supérieurs qui jugeait ce travail utile à la postérité Dom Calmet écrivit l’histoire de l’abbaye de Munster depuis sa fondation jusqu’en 1704. L’Histoire de l’Abbaye de Munter en Gregorienthal, écrite en 1704, est la première étude historique de dom Calmet. Il y relate, en historien accompli, document à l’appui, les évènements qui ont marqué Munster et sa vallée au cours des siècles.
Dom Calmet quitta Munster au printemps 1706 pour se rendre à Paris à l’abbaye des Blancs-Manteaux où il arriva le lundi de Pentecôte. D’après un document signé de sa main nous savons qu’il revint à Munster en qualité de père visiteur vers 1719.
En 1728, il est appelé comme abbé de Senones (Vosges) où il reçoit Voltaire en 1745. Il y meurt le 25 octobre 1757. L’œuvre de Dom Calmet est éclectique et prolifique. Son ouvrage le plus connu demeure son Histoire de Lorraine dont la deuxième édition fut écrite à Senones.Note :
Une partie de son Histoire de l’abbaye de Munster a été imprimée dans un recueil  intitulé : Continuatio Spicilegii ecclesiastici de Lunig, imprimé à Leipzig, in-folio, en 1720.

Jean-Daniel Schoepflin (1694-1771)

Jean-Daniel Schoepflin, l’aîné des huit enfants, de Daniel Schoepflin (1663-1739) et d’Anna Margaretha Bardolle (1672-1723) est né le 24 septembre à Sulzburg, dans le margraviat de Bade-Durlach, entre Bad-Krozingen et Badenweiler. Ses parents se sont mariés à Colmar en 1692, sa mère étant d’origine colmarienne.

Jean-Daniel fit de bonnes études. Son père, qui était un modeste employé du Margrave, s’imposa quelques sacrifices et envoya son fils au Gymnase de Durlach, qui fut plus tard transporté à Karlsruhe. Schoepflin y resta cinq années, puis alla terminer ses études secondaires à Bâle. En 1707, à l’âge de treize ans, il entra à l’Université, dans la Faculté de philosophie où il eut pour maître l’éminent Christophe Iselin, professeur d’histoire et d’éloquence. Celui-ci lui fit suivre ses cours, l’aida de ses conseils et décida de sa vocation.

Les revenus du père ne suffisaient plus pour nourrir sa nombreuse famille ce qui l’amena a quitté sa place chez le Margrave. Il vint chercher fortune en Alsace et s’installa à Riquewihr où il devint receveur des biens de l’Eglise protestante. Jean-Daniel quitta la Faculté de Bâle et se rendit à l’Université de Strasbourg où il fut immatriculé le 27 juillet 1711. Désormais, il passa ses vacances au cœur de l’Alsace. Ce fut à Riquewihr qu’il perdit sa mère, le 21 décembre 1723.

A Strasbourg, Schoepflin s’attacha à l’enseignement de Jean-Gaspard Kuhn qui développa les qualités de Jean-Daniel et acheva l’œuvre commencée par Iselin à Bâle. Kuhn le prit dans sa maison et lui confia l’éducation de son fils unique ce qui permit à Jean-Daniel, qui remplit cet office de précepteur de 1711 à 1720, d’achever sans grands frais le cours de ses études. Son bienfaiteur mourut en 1720 et Schoepflin pris possession de sa chaire en devenant, à 26 ans, professeur à l’Université de Strasbourg. En 1723, Schoepflin se voit offrir une chaire à Francfort/Oder. Ensuite il reçoit encore des propositions pour la Suède à Uppsala et pour la Hollande à Leyde, mais il refuse car il reste attaché à Strasbourg et à son Université.

En 1726 Schoepflin commença ses voyages scientifiques qu’il continua durant de longues années en traversant les principaux pays d’Europe. C’est vers la fin de l’année suivante, qu’il reçut, pendant son séjour à Londres, sa nomination à un canonicat de la fondation de Saint-Thomas à Strasbourg. En 1744, il se démit de sa chaire pour se livrer tout entier à ses travaux historiques.

Sa renommée et la réputation de haute érudition lui valurent l’adjonction à un grand nombre de corps savants en France et à l’étranger : nomination à l’Académie de Londres (1728), à celles des inscriptions et belles lettres de Paris (1729) et à celle de Saint-Pétersbourg (1741). Louis XV lui décerna le brevet de conseiller historiographe du roi. Après de longues années passées en recherches et en rassemblement de matériaux, il put, en 1751, publier le premier volume de son Alsatia illustrata, le second volume parut dix après. Schoepflin publia aussi d’autres ouvrages importants et de nombreux discours, panégyriques, traités, commentaires et dissertations historiques.

Schoepflin mourut à Strasbourg le 7 août 1771. Dès le 25 mars 1765 il avait fait donation à la ville de Strasbourg de sa riche bibliothèque et de précieux musée d’antiquités, sous la condition d’une rente viagère réversible en partie, après sa mort, sur la tête de sa sœur Sophie Elisabeth qui assurait son intendance. C’est elle qui fit érigée en l’église Saint-Thomas de Strasbourg le mausolée à la mémoire de son frère

Ses attaches munstériennes

Schoepflin, qui était resté célibataire, avait d’importantes attaches familiales à Munster et dans la vallée.

Sa soeur Maria Agatha (1700-1786) épouse à Munster Johann Carl Eccard (1695-1760), pasteur à Munster de 1735 à 1760. Ce couple à trois enfants dont un fils, Daniel Friedrich, baptisé à Munster le 6 janvier 1741, qui a pour parrain Jean-Daniel Schoepflin. Daniel Friedrich Eccard prend le poste de pasteur de Muhlbach en 1779, il y exerce durant 26 ans jusqu’à sa mort en 1805. Après la mort de son père, il recueille sa mère qui décède chez lui à l’âge de 86 ans.

Son frère, Johann Friedrich (1704-1760), papetier-imprimeur, qui a épousé Suzanne Dorothée Decker, une fille de l’imprimeur colmarien, fonde une papeterie à Luttenbach qui obtient, en 1746, le titre de Manufacture royale de papier. Voltaire séjourne sur place en 1753 et y fait l’acquisition du papier nécessaire à l’impression de l’un de ses manuscrits. A la suite du décès de son épouse le 21 décembre 1723, Schoepflin père se retire à Luttenbach auprès de son fils Johann Friedrich ; il y décède le 12 juin 1739 à l’âge de 76 ans et fut enterré dans le cimetière de Munster le 14 juin 1739.

Une autre sœur, Anna Margareta (1712-1767), épouse à Munster Andreas Brauer (1714-1790, Vicaire à Munster de 1738 à 1745. Cet homme très instruit, qui connaît à fond l’histoire de l’Alsace, a fourni à Schoepflin d’intéressantes découvertes sur l’ancienne Argentovaria, aujourd’hui Horbourg. C’est en 1739 qu’il fait connaissance avec un jeune homme de douze ou treize ans et y découvre une intelligence rare pour son âge. Par la suite, il lui enseigne les langues, les mathématiques, la géographie, l’histoire… et, en 1743, il le présente à son beau-frère Jean Daniel Schoepflin qui le prendra à son service. Ce jeune homme est André Lamey qui deviendra premier bibliothécaire de l’électeur de Bavière et secrétaire perpétuel de l’académie des sciences de Mannheim.

Johann Carl Eccard et son épouse était entouré de proches parents ce qui a influencé son choix pour le poste de pasteur à Munster. Cet intime cercle familial se retrouvait à Luttenbach où Jean Daniel Schoepflin venait passer ses vacances. Le pasteur Eccard entretenait de bonnes relations avec Voltaire quand il séjournait chez son beau-frère à Luttenbach.

On peut donc en déduire que Jean Daniel Schoepflin a séjourné à plusieurs reprises à Munster et dans la vallée, notamment en 1741 et en 1743, probablement en 1739 et en 1753 et peut être lors d’évènements particuliers touchant les membres de sa famille proche (mariage, décès…).

R. Bock

Voltaire (1694-1778)

Travaillant à ses « Annales de l’Empire », Voltaire s’est établi à Colmar le 2 octobre 1753 sur les conseils de l’historien Jean-Daniel Schoepflin. Il y resta jusqu’au 11 novembre 1753, après s’être rendu entre temps à Senones, auprès de Dom Calmet, et Plombières.
Pour avoir le papier nécessaire à ses « Annales de l’Empire » Voltaire séjourna du 13 au 28 octobre 1753 à la Papeterie Schoepflin de Luttenbach, fondée vers 1742 par Jean-Frédéric Schoepflin, frère du grand historien de l’Alsace J.-D. Schoepflin. Voltaire comptait sur ces quelques jours en montagne pour rétablir sa santé, perpétuellement chancelante, si l’on en croit ses lettres.
Voltaire connut Dom Benoît Sinsart (1695-1776) coadjuteur de l’abbaye de Munster en 1743, puis abbé à partir du 1 mars 1745.
L’imprimerie cessa de fonctionner en 1892. Le baron de Coubertin était propriétaire du château, du parc et de l’usine de 1890 à 1920. Il ne reste aujourd’hui plus rien, la Première Guerre mondiale étant passée par là…

Giacomo Casanova (1725-1798) à Soultzbach en 1782

C’est le propre d’une cité d’eau de renom d’attirer des visiteurs de marque. Tel fut le cas de Soulztbach, dans la vallée de Munster, qui, élevé au rang de station balnéaire au XVII siècle par les Schauenbourg, exerçait son sortilège sur de nombreux personnages de l’époque. Parmi eux il convient de citer l’archiduc Léopold d’Autriche, le comte Eberhardt, dernier des Ribeaupierre, de grands bourgeois de Strasbourg et de Bâle, des hommes de sciences, des poètes.
Le plus emblématique de ces visiteurs reste, sans conteste, le célèbre séducteur italien Giacomo Casanova (1725-1798). En 1782, venant des Ardennes et se dirigeant vers Bâle, Casanova avait été attiré à Colmar par quelque intérêt de femmes. Dans cette ville, il entendit parler des eaux de Soultzbach et de la vie qu’on y menait et résolut d’y passer quelques jours. C’est là que se place une aventure qui défraya longtemps la chronique des bains. Casanova, l’un des plus passionnés et joueurs de son temps, y livra une partie de cartes de 42 heures sans manger ni dormir ! Ce tour de force s’acheva par l’abandon de son adversaire, un capitaine français, qui perdit ainsi 50 000 francs en Louis d’or. Après ce fameux duel, il quitta les bains pour reprendre le cours de ses aventureuses pérégrinations.

Eulogius Schneider (1756-1794)

En été 1792, une visite sensationnelle vint illustrer l’histoire de la vallée de Munster et plus particulièrement celle de Soultzbach.
Euloge Schneider, prêtre défroqué, jacobin sanguinaire, commissaire civil et accusateur public du tribunal révolutionnaire de Strasbourg, fit en effet un passage dans la station thermale de Soultzbach pour y « détendre ses nerfs surexcités ».

Il y fut adulé par toute la société qui cherchait à gagner ses bonnes grâces. Nul ne désirait avoir maille à partir avec ce puissant et redoutable personnage. On festoya chez les « citoyens » et les « citoyennes » qui s’étaient hâtés de faire disparaître des belles nappes fines les insignes brodées de la noblesse.

De retour à Strasbourg, Euloge Schneider avait fort à faire pour ne pas laisser rouiller la guillotine. Songeant avec regret aux beaux jours passés à Soultzbach, il écrivit à ses amis restés là-bas : « Si je n’avais juré de rester coûte que coûte à mon poste, j’irais passer mes jours dans votre belle vallée à jouir de la nature. »
Le destin réserva à ce bourreau sentimental une fin guère glorieuse ! Dans la nuit du 12 au 13 décembre 1793, le lendemain de son mariage avec une jeune fille de Barr, Saint Just, ami de Robespierre, le fit arrêter sous prétexte qu’il était entré à Strasbourg avec « un luxe suspect ». Il fut exposé, attaché à la guillotine, sur la place publique (future place Kléber), puis transféré à Paris et guillotiné le 1 avril 1794.